Interview importante du Président de l'ordre des Medecins qui prend position dans le débat pour ou contre le Projet de loi de la Santé de Marisol Touraine
Question : Marisol Touraine a promis de rouvrir la concertation sur la loi santé. Etes-vous satisfait ?
Nous avons au contraire le sentiment que le gouvernement n’a pas encore pris toute la mesure de la situation. Il y a deux semaines, nous avons rencontré le Premier ministre et la ministre de la Santé afin de les alerter. Le 16 octobre, lors de notre congrès, nous avions exprimé nos points de désaccord et le président de la République avait promis de rouvrir la concertation. Mais le temps a passé, et la concertation est à peine ébauchée. A force de tergiverser, le gouvernement va devoir faire des gestes plus importants que ce qu’il avait prévu. La concertation qui débute aujourd’hui ne me semble plus suffisante, car les mécontentements s’amalgament, les mots d’ordre de grève se généralisent. Les médecins sont passés de l’exaspération à la colère. La grève entre Noël et le nouvel an n’est plus confinée aux médecins libéraux : les urgentistes de l’hôpital public, les internes sont mobilisés. Nous avons écouté les doléances des médecins scolaires, des médecins du travail, des médecins-conseils de l’Assurance-maladie… Cette fin d’année nous inquiète et devrait inquiéter les pouvoirs publics.
Que demandez-vous ?
Nous demandons que le gouvernement revienne sur les points qui posent problème, tout en sachant que cela ne suffira peut-être plus à résoudre la crise et à faire disparaître les mouvements sociaux programmés. Ces mouvements, nous les comprenons et en partageons les préoccupations. Il faut reporter le passage de la loi santé devant le Parlement, car le temps de la réécriture est plus long que le temps de la concertation. Nous n’intervenons pas dans l’appel à la grève car ce n’est pas le rôle de l’Ordre mais, sans réécriture profonde du texte, et donc sans report de son examen, la contestation ne faiblira pas. Si la profession n’est pas entendue, nous en appellerons au président de la République et au Premier ministre. Question : Etes-vous solidaire des urgentistes de l’hôpital public ? Nous avons rencontré les représentants des urgentistes et tenté de relayer leurs inquiétudes auprès du gouvernement. Le fait qu’ils expriment des craintes sur leur exercice et sur leurs conditions de travail confirme la coalescence des mécontentements.
Qu’est-ce qui vous gêne le plus dans le projet de loi santé ?
C’est l’absence de contre-pouvoirs dans les territoires, alors que doit se mettre en place un service territorial de santé au public. Nous souhaitons que les usagers et les professionnels de santé soient présents dans le circuit de décision, sous l’égide des autorités régionales de santé (ARS). C’est le seul moyen pour que les soins soient administrés en fonction des besoins de la population. Cela va d’ailleurs de pair avec la possibilité pour les usagers et les professionnels de s’approprier les outils d’aide à la décision, d’avoir accès aux bases de données de l’Assurance-maladie – ce que ne permet pas la loi santé. Nous regrettons que l’Etat ait choisi de répondre aux problèmes des territoires par l’hyperadministration au lieu de s’ouvrir sur la société civile.
Etes-vous opposé à la généralisation du tiers payant ?
Nous ne sommes pas opposés au principe du tiers payant, mais avons souhaité des aménagements. La mise en oeuvre devrait être progressive et concerner d’abord les affections de longue durée. Cela aurait permis d’observer les effets et les limites du dispositif avant de l’étendre. D’ailleurs, la ministre Marisol Touraine, elle-même, a dit que le système ne serait pas en place avant 2017. Pourquoi ne pas partager ses objectifs avec les professionnels de santé ? Il aurait été possible de créer des modalités de gestion partagée. La méthode choisie n’est pas la bonne.
Pourquoi vous opposez-vous à la délégation de compétences, qui va permettre aux pharmaciens de vacciner ?
On ne peut organiser de mécanisme qui atteint les fonctions métier des médecins sans concertation. Dire que les médecins ne seront plus demain les prescripteurs de la vaccination est une provocation inutile. Car on ne peut pas à la fois dire que le parcours de soins doit être centré sur le médecin traitant et en créer les exceptions. Dans le cadre de la grippe, la délivrance sans prescription du vaccin par les pharmaciens ou la vaccination directe par les infirmières n’a pas permis de remonter le taux de vaccination ces cinq dernières années, bien au contraire. Quant aux pharmaciens, notez qu’ils ne sont pas tous d’accord pour vacciner. Patrick Bouet est Président du Conseil de l’Ordre des médecins (CNOM) article écrit par S.G pour les Echos
Réagissez à cet article