Ecomnews a rencontré le « Monsieur énergie solaire » en France, André Joffre, pour évoquer la crise de l’énergie qui met à mal nombre d’entreprises et de citoyens français. Ce spécialiste des énergies renouvelables depuis plus de quarante ans nous livre en exclusivité son analyse de notre modèle énergétique et de ce qu'il laisse augurer pour les années à venir.
Voilà maintenant quatre décennies qu’il aiguise son savoir sur les énergies renouvelables (ENR). André Joffre s’est emparé du sujet alors qu’il n’était encore qu’à la marge, écrasé par le nucléaire. Quarante ans plus tard, le parc nucléaire tricolore n’est plus ce qu’il était alors. Et neuf mois après le début de la guerre en Ukraine, la crise énergétique est là, et l’hiver arrive.
« Cette crise est inédite, on n’avait jamais connu des variations des prix de l’énergie avec une telle rapidité ! Lorsqu’ils sont multipliés par dix, c’est totalement insupportable pour une entreprise quelle qu’elle soit ! »
Alors l’Etat a mis en place ce qu’il décrit comme des « amortisseurs » dont bénéficient en premier lieu les particuliers. Les foyers les plus modestes verront ainsi une augmentation quasi-nulle de leurs factures rapportées à l’inflation, pour les autres, cette augmentation sera autour des 15%.
« Pour les entreprises d’une certaine taille ce sera plus compliqué, car l’augmentation va être très importante et l’aide publique est insuffisante pour amortir la totalité de l’augmentation. » Si bien que les pouvoirs publics devront accentuer leurs aides aux entreprises sans quoi celles-ci seront contraintes d’arrêter leur production.
Le nucléaire français tête baissé
Se pose alors la question suivante : comment en est-on arrivé là ? Car si elle s’avère moitié moins dépendante au gaz russe que son voisin allemand, la France est encore aujourd’hui trop portée sur le nucléaire. « Les Etats-Unis ou le Royaume-Uni ont des taux de pénétration du nucléaire de l’ordre de 35% ; nous sommes à plus de 70%. » Résultat de quarante années de politique d’approvisionnement quasi-exclusivement tourné vers l’atome.
En 1981, fraîchement arrivé au pouvoir, le gouvernement socialiste s’est retrouvé contraint d’employer l’article 49.3 pour faire passer en force son programme nucléaire. Pas de débat, pas d’amendement, mais surtout un parc de soixante centrales bien au-delà des réels besoin de l’époque. « S’en est suivie une période d’abondance électrique, pratiquement jusqu’en 2000. »
Mais la situation s’est alors peu à peu dégradée. Car toutes les centrales ont vieilli dans le même temps. « La bonne méthode aurait été d’en construire d’abord la moitié, puis le reste plus tard, déplore André Joffre. Cela aurait permis d’avoir une continuité dans l’action alors que là on a tout arrêté et on a perdu le savoir-faire. »
Dernier exemple en date, la décision de la Pologne de choisir l’entreprise américaine Westinghouse, contre le projet français d’EDF, afin de construire sa toute première centrale nucléaire. « Et puis il ne faut pas oublier non plus que la plus grande partie des centrales qui fonctionnent en France sont sous licence américaine. » Des machines… Westinghouse. Cela ne s’invente pas.
Croire au solaire, une galère
Mais pendant que Varsovie boude l’EPR, Paris paye des années de scepticisme avec les ENR. Nous sommes même le seul pays d’Europe à ne pas avoir atteint les objectifs sur la croissance de ces énergies renouvelables. « A la fin des années 1980, et pendant une quinzaine d’années, il était interdit de faire du solaire en France. Il ne fallait surtout pas concurrencer l’électricité nucléaire qui était très abondante l’été. » Alors même que la France faisait partie des leaders mondiaux sur l’énergie solaire.
Depuis le marché s’est déplacé en Asie ; en particulier en Chine, où André Joffre s’est rendu, il y a une dizaine d’années, pour y prendre la température. Mais de retour de l’Empire du milieu, et tandis qu’il s’est empressé de conseiller les plus hautes sphères de l’Etat sur l’engouement chinois en matière de solaire, le spécialiste s’est vu quelque peu refroidi : « le solaire ne restera jamais qu’un gadget. »
Toujours est-il que depuis octobre 1982 et la création à Perpignan (Pyrénées-Orientales) de son entreprise consacrée au solaire, l’enthousiasme du Rivesaltais d’origine n’a jamais été entamé. Tecsol demeurera à jamais le premier bureau d’études en France dans le développement d’installations photovoltaïques pour l’industrie et les bâtiments commerciaux.
Toutefois, bon joueur, André Joffre tient à souligner que l’une des premières entreprises consacrées au solaire en France se situe en Alsace « où le climat politique, l’ambiance et le caractère industriel de la région attirent les investisseurs. »
ENR : énergies nouvelles à ressources inépuisables
Cet ingénieur des Arts et Métiers, chercheur à l’université de Perpignan, l’assure : « les énergies renouvelables ont gagné la partie. » Moins chères, moins nuisibles, moins polluantes, elles offrent aussi des possibilités de croissance et d’innovation considérables. Exemple avec un panneau solaire : celui-ci convertit actuellement un peu plus de 20% de l’énergie qu’il reçoit du Soleil en électricité. « Dans vingt ou trente ans on sera entre 40 et 50% ! », se réjouit André Joffre.
« A ce moment-là va s’ouvrir un autre monde, celui de l’usage des panneaux solaires, de l’électricité qui coûtera zéro. Ce sera peut-être le moment pour la transformer en hydrogène et permettre de faire du stockage inter-saisonnier. » Autrement dit : utiliser la production d’hiver en été. Mais également utiliser la production d’été en hiver, aussi rude soit-il.
Quid de l’hydraulique ?
« Ce qu’on appelait jadis la houille blanche a été la première des énergies utilisées après le charbon. Nous sommes très bien équipés avec les Alpes et les Pyrénées où il y a de très nombreuses centrales qui continuent de fonctionner. Il y a aussi du potentiel de développement : on pense qu’on pourrait installer un gigawatt supplémentaire en France si on arrivait à rénover certaines centrales anciennes. Mais on sait que c’est très difficile aujourd’hui car les règles de l’environnement ne sont plus ce qu’elles étaient jadis et on n’a pas forcément les autorisation nécessaires pour pouvoir faire ces rénovations. »
Peut-on croire en l’éolien ?
« C’est une très belle technologie qui évolue sans cesse. Aujourd’hui des éoliennes de même tailles produisent beaucoup plus que ce qu’elles produisaient il y a dix ou quinze ans. Et puis il y a l’éolien offshore. En Méditerranée, nous avons la particularité d’avoir des fonds marins très profonds donc on ne peut pas utiliser des éoliennes fondées comme en Bretagne et dans toute la partie Atlantique. Donc on a développé ces concepts d’éoliennes flottantes. C’est un peu plus cher à développer, donc ça doit faire l’objet d’innovations pour ramener le prix du kilowatt/heure produit à peu près au même niveau que celui du nucléaire. Et à partir de là ça pourra se développer massivement. On est persuadé que les contraintes de l’éolien terrestre – notamment l’acceptabilité des populations – sera bien moindre dans le secteur maritime, parce qu’on est loin des côtes et qu’il n’y a pas de nuisance physique ni visuelle. Donc c’est vraiment un secteur d’avenir mais qui demande encore à faire l’objet de pas mal d’expérimentations. »
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