Suite au congrès de l’Association des Maires de France qui s’est tenu du 21 au 23 novembre 2023 sur le thème générique : « Communes attaquées, République menacée », nous avons interrogé le Directeur général des services de la Ville de Perpignan, Philippe Mocellin qui est en pointe sur ces questions concernant la gestion des Villes et des préoccupations qui touchent les Maires comme la violence, l’insécurité ou la gestion financière. De nombreux maires démissionnent ou ne se représenteront pas.
Ecomnews : Les Maires continuent à être en première ligne pour régler les problèmes des français, sans en avoir toujours les moyens et font face à une forte augmentation de la violence sociale.
Philippe MOCELLIN : En effet, il est important de rendre compte à la fois du chemin parcouru depuis 2020 et de se placer résolument vers l’avenir et au-delà même de l’échéance de 2026.
Avant de répondre, je me permets de souligner l’actualité qui préoccupe fort légitimement tous nos élus. L’Association des Maires de France a inscrit, très justement, à l’ordre du jour déjà chargé de son congrès 2023, l’inquiétante montée, ces dernières années, de différentes formes de « violence sociale », que ce soit envers nos élus et plus globalement, en direction des représentants des administrations au sens large.
Comment ne pas s’interroger sur la progression spectaculaire (+ 32 % en 2022), de ces faits de violence contre nos élus et en parallèle, celle des démissions de Maires… : un niveau jamais atteint, traduisant, à n’en pas douter, un profond découragement, alimenté par ce sentiment de ne pas pouvoir répondre, dans les meilleures conditions, aux attentes de leurs concitoyens ?
Pour revenir à votre question, il faut d’abord se souvenir que le début de cette mandature a été marquée par la gestion de la pandémie de la COVID 19 et que nos communes ont dû se mobiliser très fortement et allouer des moyens financiers conséquents pour suppléer l’Etat, tant en matière de dépistage que dans l’organisation de la vaccination.
Je rappelle, par ailleurs, que les budgets communaux 2022 et surtout en 2023, ont été élaborés, dans un contexte de crise aigüe :
Avant tout économique, conséquence de ce fameux « quoi qu’il en coûte », dont il faut encore absorber certaines dérives… et d’une forte inflation, liée, pour une part, au conflit armé sur notre propre continent et à une désorganisation des marchés des matières premières, qui aura touché, indistinctement, les ménages, nos commerçants, nos entreprises et les collectivités locales.
S’ajoutent à cela des taux d’intérêt d’emprunts défavorables, qui ont très durement pénalisé, tout au long de cette année 2023, le secteur immobilier ainsi que l’investissement privé et public.
Si les indicateurs économiques actuels de la France ne sont pas bons, au regard de l’explosion de la dette nationale et des déficits (+72 milliards d’euros en 2022, hors dépenses exceptionnelles), nos collectivités locales et alors que l’exercice budgétaire 2024 se profile, font face à ce jour : non seulement, à un coût encore très élevé de l’énergie (en attendant l’application possible de nouvelles règles ?), mais aussi à des frais de personnel qui progressent, du fait de diverses mesures gouvernementales, arrêtées dès 2022, – certes légitimes sur le principe – mais appliquées sans aucune compensation financière et sans aucune concertation avec les collectivités locales.
J’avais, déjà évoqué, tous ces sujets, en insistant tout à la fois sur les relations financières, toujours problématiques et en mal de clarification, entre les collectivités locales et l’Etat et sur le rôle spécifique de la commune et des intercommunalités au sein du paysage de la décentralisation à la française…
Aussi et afin de sortir de l’ornière dans laquelle nous sommes, nous plaidions alors, pour les années à venir, en faveur d’un vrai « choc » de simplification, au travers, par exemple, d’une fiscalité dédiée pour chaque niveau de compétence.
J’ajoute que parmi les 39 thèmes retenus pour le 105ème congrès de l’Association des Maires (AMF), figure, précisément, celui de la perte progressive « d’autonomie » financière de nos communes, ne disposant plus de réels « leviers fiscaux » et parce qu’entravées, par ailleurs, par une réglementation tatillonne et la baisse globale de leurs ressources.
Les derniers rapports de la Cour des Comptes soulignent à ce titre, qu’en 2023, la situation macro-économique impacte sensiblement les dépenses de fonctionnement des collectivités locales et les recettes attendues, beaucoup moins dynamiques que par rapport à l’année 2022.
Il est mentionné que les collectivités locales auront, du fait de cette dégradation de l’environnement économique, un besoin de financement à hauteur de 2,6 Mds en 2023 et de 2,9 Mds en 2024 !
Ces mêmes rapports énoncent, en regard de toutes ces difficultés cumulées et avérées, certaines recommandations, préconisant, notamment, la création, par l’Etat, d’un fonds de « résilience financière », en direction des collectivités locales, confrontées à des conjonctures exceptionnelles ou encore, un renfort des dotations de « péréquation verticale » en faveur des communes les plus défavorisées et afin de mieux lutter contre les « saupoudrages » financiers actuels…
Louables mais à condition d’en définir les critères de façon transparente et concertée.
Les rapports évoquent aussi, voulant en cela répondre à l’exaspération des Maires privés de marges de manœuvre et de moins en moins maîtres de leurs recettes, l’idée d’une refonte du système fiscal local, par la possible instauration d’un impôt « services » ainsi que l’inscription de l’autonomie fiscale dans la Constitution.
Là aussi, nous en sommes qu’au stade de l’idée.
Il ne s’agit pas d’inventer un impôt supplémentaire mais de gagner en lisibilité et de retrouver, en effet, ce lien fiscal direct entre la collectivité et les ménages et les entreprises d’un territoire.
En attendant, nous savons que le gouvernement a décidé, au travers du projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027, adopté avec le recours au « 49.3 », d’encadrer les dépenses de fonctionnement des collectivités locales jusqu’en 2027, soit une réduction annuelle « à hauteur de -0,5 % par rapport à l’inflation prévisionnelle » mais – et c’est un moindre mal ! – sans dispositif de contrainte, comme initialement prévu… par le biais de « contrats de confiance », nouvelle version des très fameux « contrats de Cahors » !
En pratique, 2 % en 2024, 1,5% en 2025 et 1,3% en 2026…
Autant dire une trajectoire de dépenses « imposée » mais bien incertaine et qui ne peut être, compte tenu des aléas économiques, qu’indicative et donc, espérons-le, révisable…, à l’aune de la future « revue des dépenses publiques », telle qu’annoncée.
Doit-on encore réaffirmer ici que nos collectivités ne sont pas responsables des déficits des comptes de l’Etat ?
L’Etat exige d’ailleurs des Maires une rigueur exemplaire en matière budgétaire qu’il a pourtant bien du mal à imposer à sa propre administration…
L’enjeu est d’abord de faire confiance aux Maires, au contact direct avec leurs concitoyens et à même de gérer, avec efficacité, des services publics de proximité, répondant à des besoins du quotidien tout à fait essentiels.
Ecomnews : Néanmoins, dans ce climat de grande incertitude et anxiogène, comment la commune peut-être toujours pilote dans la conduite des politiques publiques locales ?
Philippe MOCELLIN : Oui, la commune est ce pilote et je dirais même plus encore, demeure un véritable lieu d’impulsion en faveur de l’innovation locale.
La commune constitue, à cet égard, l’échelon « proactif » par excellence, en phase avec les problématiques de notre temps.
La commune s’efforce de mettre en oeuvre les solutions les plus efficientes, que ce soit, en matière de sécurité publique, de lutte contre l’incivisme et d’accompagnement des personnes les plus fragiles et de nos aînés…
Celle-ci émet également sa préoccupation, parce que située au plus près des réalités, de respecter les équilibres, entre, d’un côté, soutenir le développement urbanistique et, d’un autre, préserver la biodiversité…
Ce qui suppose de faire preuve d’imagination, en mariant avec subtilité : aménagement public harmonieux, habitat de qualité, végétalisation et écologie concrète…
A l’heure des grands défis à surmonter, concernant aussi bien le changement climatique, la révolution digitale ou encore la modernisation de la logistique urbaine, l’échelon communal a le devoir de combiner : opérationnalité, construction de politiques publiques adaptées aux besoins du territoire et vision à long terme, renvoyant à une réelle préoccupation d’anticipation….
S’ajoutent à cette longue liste, les questions à fort enjeu, touchant, notamment, au logement, à l’accès aux soins de premier recours, au vieillissement des populations et à la revitalisation des commerces des centres-villes…
Le Maire, personnage public central dans notre démocratie et se situant « au cœur » de toutes les contradictions de notre société, est, tout à la fois : « gestionnaire », face à la raréfaction des ressources, « bâtisseur » ou plutôt responsable de politiques d’investissement, soutenant alors l’activité économique locale et l’emploi et, enfin « visionnaire », c’est-à-dire en capacité de dresser un cap stratégique pour l’avenir de sa ville, en s’appuyant sur l’ensemble des « forces vives » qui la composent.
Ce sont pour toutes ces raisons que nos communes ont besoin de plus de « liberté » pour mener à bien leurs initiatives, donner un vrai sens à l’action publique locale, en recherchant la performance et l’efficience.
En effet, au-delà des difficultés financières, force est de reconnaître que l’action locale se heurte, bien souvent, à un foisonnement de normes, de règlements et de procédures bureaucratiques en tout genre et dans tous les domaines de l’action publique.
Et cela, sous le contrôle vigilant, parfois « censeur » des services de l’Etat, témoignant de cette tendance, toujours très vivace dans notre pays, à la recentralisation administrative.
Plus encore, l’empilement des schémas directeurs, élaborés, tant à Paris et en déclinaison, au sein de nos régions, complexifie d’autant plus la prise d’initiative locale, la retarde… au point, parfois, de la rendre inopérante.
La lutte contre la crise démocratique que nous traversons, nourrie par l’impuissance publique, passe aussi par cette meilleure prise en compte de l’agilité de nos administrations territoriales et de leur propre capacité à agir et à réagir.
Ecomnews : Faut-il encore une nouvelle loi de décentralisation ?
Philippe MOCELLIN: Je ne suis pas sûr de l’utilité d’une énième « loi-cadre ».
Il serait plus opportun d’envisager une réforme simple et pratique, qui marquerait une nouvelle étape, tenant compte du contexte ambiant.
Le Président de la République a confié, sur tous ces sujets, une mission d’étude à l’ancien Ministre Eric Woerth, chargé de proposer de nouvelles idées concernant notre organisation territoriale.
« Simplification, clarification, adaptation aux normes, consolidation des moyens et valorisation des fonctions électives locales » : tels sont les champs thématiques que le rapporteur national se doit d’investir… et même si les associations d’élus jugent les intentions de l’exécutif encore très « floues ».
Et alors qu’elles-mêmes ont proposé, il y a plusieurs années déjà, un ensemble de mesures intéressant ce grand chantier de la décentralisation.
Sans préjuger de la teneur des préconisations qui pourront être formulées, il convient d’admettre l’urgence à se pencher, d’une part, dans un réel souci de lisibilité, sur la répartition des compétences entre les différentes strates décentralisées et sur les moyens affectés à chacun d’eux et, d’autre part, à mieux articuler les interventions de ces différents échelons locaux, en lien, d’ailleurs, avec celles menées par les services déconcentrés de l’Etat.
Par ailleurs, au sein même du bloc communal, comme pour d’autres niveaux, la simplification de « l’accès au droit à la différenciation et à l’expérimentation », tels que prévu par les textes en vigueur, s’impose également et devrait ainsi réellement permettre à une collectivité locale d’initier, pour une période déterminée et en fonction de circonstances locales particulières, une politique publique qui ne relève pas de sa compétence légalement attribuée.
En clair, comment revenir aux principes qui ont présidé à la mise en place des premières lois de décentralisation, mêlant, en dehors de l’arme budgétaire, libre administration et principe de subsidiarité ?
Décentraliser, c’est :
– donner aux collectivités locales de réels pouvoirs d’intervention, en rapprochant la décision publique des citoyens, appelés, sous des formes diverses et innovantes, à participer à l’animation des politiques locales et à la réalisation de projets qui intéressent leur cadre de vie,
– mieux répartir les rôles entre les territoires et les administrations centrales d’un Etat, dit « stratège », ayant l’obligation de se concentrer sur ses missions régaliennes ;
– et faire vivre la démocratie locale et ceci à l’heure des réseaux sociaux et des plateformes interactives !
Source : Club national DGS et DRH Emploi-collectivités en date du 21 novembre 2023.
Réagissez à cet article