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Denys Bédarride
18 avril 2025 Dernière mise à jour le Vendredi 18 Avril 2025 à 15:58

Interview de Philippe MOCELLIN, Directeur Général des Services de la Ville de Perpignan, Docteur en Science Politique.

Ecomnews : Les budgets primitifs des collectivités locales et ceux du « bloc communal », ont été élaborés, cette année 2025, dans un climat de forte incertitude…Comment l’avez-vous géré ?

Phillippe MOCELLIN : Oui, nous pouvons affirmer, sans détours, que le contexte aura fortement perturbé la procédure  budgétaire locale : un climat économique plus qu’incertain ayant entamé la confiance des ménages, des  investisseurs et de nos entreprises…  

A cela, il est à souligner l’instabilité de la situation géopolitique, en Europe et au Moyen-Orient, non sans  conséquence sur l’organisation des échanges internationaux.  

Le Président Donald TRUMP est bien décidé à défendre les intérêts des Etats-Unis et alors que la « guerre »  économique, engagée autour du relèvement des droits de douane et des taxes, pourrait provoquer, à terme, une  fragmentation du commerce international.  

L’incertitude provient aussi de la situation de notre propre pays, confronté à un niveau de dette vertigineux et à  un déficit public en forte augmentation. 

La dette culminait, en fin d’année 2024, à 113,7 % du PIB et les intérêts d’emprunts s’élèvent à plus de 50 milliards  d’euros. Quant au déficit, il se situait, à la même époque, autour de 6,1 % du PIB : du jamais vu, hors période de  crise !  

Sans oublier que le projet de Loi de Finances (PLF) 2025, adopté finalement le 6 février dernier, a laissé les  collectivités locales dans un flou « artistique » pendant de nombreux mois, tant sur les recettes attendues que  sur la nature de leur contribution à l’effort de redressement des finances publiques…, objectif désormais chiffré  et revendiqué par le Gouvernement.  

Au nom de « l’état d’urgence budgétaire », celui-ci annonce déjà 40 à 50 milliards d’euros d’économie  supplémentaires en 2026.  

Le déficit public devrait être ramené à 5,4% du PIB, selon les prévisions du PLF 2025 et avec pour horizon, une  remise à niveau, au-dessous des 3%, en 2029.  

En soulignant que 2025 est la dernière année de plein exercice budgétaire de l’actuelle mandature municipale,  ce qui complique d’autant plus la gestion des projets et le calendrier des investissements. 

L’enjeu principal est bien de sauvegarder une réelle capacité à investir pour les années à venir et dans l’attente,  de pouvoir finaliser, à la lumière d’arbitrages douloureux, les grands projets engagés dans ce mandat et de réaliser  les travaux d’entretien nécessaires, à l’instar des bâtiments et des voiries…  

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Ecomnews : Dans ce contexte, les collectivités locales sont, à nouveau, sollicitées à fournir des efforts. 

Phillippe MOCELLIN : En effet, celles-ci voient, tout d’abord, leurs dépenses de fonctionnement encadrer jusqu’en 2027, au  travers d’une réduction annuelle de 0,5 % par rapport au taux d’inflation prévisionnel.  

Et surtout, la Loi de Finances 2025 a requis un effort financier d’un montant de plus de deux milliards d’euros, initialement, celui-ci était de cinq milliards !  

Et alors que par voie de décret, a été aussi imposée, à nos collectivités locales, une hausse de 12 % sur 4 ans des  cotisations employeurs à la CNRACL (caisse nationale de Retraites des agents hospitaliers et des collectivités  locales). Le taux augmentera ainsi de 3 points par an jusqu’en 2028, pour atteindre 43,6 %, contre 31,6 en 2024.  

Je rappelle que cette disposition, rejetée à l’origine par les parlementaires, a été instaurée par le Gouvernement  sans concertation… Et en insistant sur le fait que cette caisse de retraite, très déficitaire, a, depuis 50 ans,  compensé, à hauteur de 100 milliards d’euros au total, les déficits d’autres caisses, la privant de réserves  suffisantes. 

Cette ponction n’apporte, du reste, aucune réponse de fond sur le sujet et surtout, oblige les collectivités locales  à payer la mauvaise gestion de ce régime de retraite.  

Je signale également que les dysfonctionnements des services de l’Etat dans la collecte de la taxe d’aménagement – perçue sur les opérations de construction et de rénovation des bâtiments – ont amputé les territoires de recettes  d’investissement indispensables, en reportant leur encaissement.  

Nous savons que le dispositif DILICO, fixant les modalités de participation des communes au redressement des  comptes publics, entame, par ailleurs et tout particulièrement, les recettes fiscales des petites villes.  

En tout état de cause, les injonctions financières « décidées d’en haut » pèsent très fortement sur les budgets  des administrations locales et augmentent, mécaniquement, leurs dépenses de fonctionnement, la masse  salariale en l’occurrence.  

Et alors que celles-ci assument, – le bloc communal en particulier – de plus en plus de charges dans des domaines  qui ne relèvent pas directement de leur compétence, sans obtenir les transferts de recettes correspondants. 

Je pense à la sécurité publique, à la santé et, autre aspect, à l’application de normes environnementales et  procédures en tout genre, alourdissant la facture des travaux d’investissement.  

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Nous savons que la Banque Postale avait indiqué, avec justesse, que l’année 2024 serait particulièrement difficile  pour les communes et les intercommunalités, au regard d’un « effet ciseau », particulièrement marqué (solde  entre une dynamique de recettes en berne et une accélération des dépenses en volume, du fait, pour partie, de  mesures imposées par l’Etat, sans aucune compensation financière…).  

La trésorerie nette des communes a en effet faibli de – 7,9 % entre 2023 et 2024, associée à une baisse sensible  de l’épargne brute globale, soit un repli de plus de 5 % à la fin 2024. 

S’ajoutent à cela, les pertes de recettes, effet du ralentissement du marché immobilier, les diminutions constatées  des subventions provenant de l’Etat et des Régions, conséquence d’une « politique de rabot » de courte vue et  les débats, parfois âpres, qu’il faut engager, du fait de ces fortes tensions budgétaires, pour un partage équitable  de la dotation de solidarité communautaire…  

Ceci obligera nos exécutifs municipaux et intercommunaux à repenser, pour l’année qui vient, le contour de  certaines politiques publiques, à raisonner sur la base de priorités partagées et assumées et à améliorer, non sans  limite cependant, la productivité du travail des agents publics, par l’emploi des outils numériques et une  organisation optimisée.  

Ecomnews : Une situation qui renvoie donc au débat sensible des rapports entre l’Etat et les collectivités locales en matière de finances locales ? 

Philippe MOCCELLIN : Si la Loi de Finances 2025 a bien revu à la baisse le montant de la contribution des collectivités locales à l’effort  collectif, l’Etat a fait mine d’oublier, encore une fois, que celles-ci ne sont pas responsables du creusement du  déficit public : d’abord parce que dans l’obligation de voter leurs budgets en équilibre et que leur dette diminue  depuis 30 ans, représentant, moins de 9% du PIB !  

Le discours ambiant, relayé par la Cour des Comptes et par différentes sphères « énarchiques », – qui n’ont  d’ailleurs jamais eu la charge d’animer un territoire ! – suggère que les dépenses des collectivités locales sont  forcément trop importantes et insuffisamment contrôlées.  

Discours d’autant plus injuste que nos communes, nous l’avons dit, font face à des dépenses, transférées par l’Etat  lui-même et que l’investissement public local (représentant 70% des investissements en France) constitue un  « carburant » incontournable pour l’activité économique et la croissance dont nous avons tant besoin !  

Avec toutes ces mesures de prélèvement, les collectivités locales dans leur ensemble pourraient être alors tentées  d’emprunter davantage ou alors d’arrêter brutalement des programmes en cours. L’effet récessif est donc garanti !  

Autrement dit, à l’Etat de sortir de l’impasse budgétaire dans laquelle nous sommes et d’engager, avec les  collectivités locales, un dialogue constructif pour garantir le développement de nos territoires, eu égard à leurs  spécificités, leurs contraintes et leurs besoins… 

Plus globalement, les dépenses publiques représentent en France 57 % du PIB, contre 53,8% en 2019 et qu’il  faudra tout faire pour réduire la dette par la stimulation de la croissance et la production de richesses.  

Ce qui doit donc nous interroger, c’est tout à la fois : la nature même de toutes ces dépenses, y compris celles  relevant des comptes sociaux, le poids grandissant de la bureaucratie, la pertinence de l’empilement des  différents niveaux de collectivités, la nécessité d’une clarification des normes, la question de l’autonomie  financière des collectivités locales, au nom du respect du principe de « libre administration » et la révision souhaitable du code des machés publics grevant, par certaines dispositions absurdes, le coût des travaux.  

Au-delà du débat autour de l’essoufflement de la décentralisation et sur les conditions de la réforme à conduire,  force est de reconnaître que la suppression de la taxe d’habitation a ôté d’importantes recettes tant pour les collectivités locales que pour l’Etat.  

Plus encore, cette décision a eu pour conséquence directe de faire reposer, pour l’essentiel, les impôts locaux  d’aujourd’hui, sur les contribuables, redevables de la seule taxe foncière…  

L’Association des Maires de France (AMF) plaide, d’ores et déjà, pour une nouvelle architecture de la fiscalité  locale, avec pour objectif de « responsabiliser, à nouveau, les communes vis-à-vis des contribuables », en  rétablissant un véritable lien fiscal entre les citoyens et le territoire dans lequel ils vivent et travaillent.  

En clair, permettre aux communes de « lever l’impôt » pour dégager des marges de manœuvre. A elles de rendre  des comptes de leur action, en transparence et en responsabilité !  

Aux maires et aux élus locaux d’en débattre alors sereinement et d’engager, avec force de conviction, les négociations avec l’Etat.  

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Ecomnews : La Ville de Perpignan, dans ce climat chaotique, semble alors se démarquer : une sortie de « l’effet  ciseau », un autofinancement net conséquent et le maintien d’un niveau d’investissement significatif…   

Phillippe MOCELLIN : Vous avez parfaitement résumé les indicateurs clé, attestant, à ce jour, d’une gestion rigoureuse des finances de  notre ville, en dépit de difficultés sociales structurelles, véritable défi pour nos politiques publiques.  

Monsieur le Maire, Louis Aliot a fixé ses objectifs lors du débat budgétaire pour l’année 2025. 

Sur la base d’un budget d’un montant de 363 M€, il est alors question de concilier, maintien des grands équilibres  financiers, qualité du service public et préparation de l’avenir, dans un réel souci de transformation de Perpignan,  porteur d’une ambition pour le développement du territoire.  

Je ne peux que souligner, à cet égard, l’implication de toute l’équipe municipale, la forte mobilisation des  membres de la direction générale ainsi que celle des services municipaux et de la cellule financière, dirigée par Marion NEVEU, notre Directrice Générale Adjointe des Services, en charge des ressources et des moyens.  

Sans ce travail collectif, ces résultats financiers, très encourageants, que vous avez rappelés, n’auraient pas été  obtenus.  

Il est à noter, tout d’abord, que l’évolution de la masse salariale au sein de notre ville, représentant, en 2024, 58%  des dépenses de fonctionnement, comprend aujourd’hui un volume de dépenses « subies », en année pleine et  à effectif constant, de 8,6 M€, du seul fait de l’impact de décisions gouvernementales prises depuis 2022.  

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La projection budgétaire annonce une dépense « imposée » qui pourrait s’élever à 13 M€ en 2028 !  

Ajoutons que l’augmentation du taux de cotisation à la CNRACL engendre pour Perpignan, sans aucun  recrutement, une charge supplémentaire de 2M€ et qui atteindra, en 2028, 6,4 M€.  

Face à ce contexte calamiteux, notre ville a arrêté, conformément aux engagements annoncés, une trajectoire  budgétaire réaliste et a retravaillé la prospective financière élaborée en début de mandat, tout en maximisant le  niveau d’investissement en faveur de projets structurants pour notre ville. 

Si dès 2020, la majorité municipale a souhaité rendre aux perpignanais un service de qualité, répondant à de  fortes attentes en matière de sécurité, de propreté et de cadre de vie, a été mis en œuvre, en parallèle, dans ce  contexte budgétaire de plus en plus contraint, un programme de maîtrise de nos dépenses réelles de  fonctionnement, combinant, gestion raisonnée des ressources disponibles, optimisation des recettes et  économie d’énergie au sein de notre patrimoine communal.  

Les objectifs fixés par ce plan d’action ont été atteints et ceci, afin de compenser les hausses imposées, sans  aucune augmentation des taux communaux de fiscalité, à la différence d’un bon nombre de grandes villes !  

En premier lieu, des économies nettes réalisées sur le poste des dépenses à caractère général, grâce à une  politique d’achats rationalisée, respectant très largement le seuil d’évolution préconisé par l’Etat. 

Notre ville a d’ailleurs souhaité limiter au maximum l’impact de ces économies quant aux subventions accordées  aux associations sportives et culturelles et alors que dans le même temps, la seule Région Occitanie, décide,  simple constat, de coupes budgétaires sans précédent.  

En second lieu, une masse salariale contenue, au travers d’une organisation administrative repensée et d’une  diminution négociée des effectifs municipaux.  

En troisième lieu, des dépenses d’équipements priorisés, diminuant ainsi le recours à l’emprunt et donc la charge  de la dette qui pèse sur le budget de fonctionnement.  

Au total et au regard de la nécessité, du fait de l’instabilité financière ambiante, de poursuivre ces efforts, notre  ville, contrairement à d’autres collectivités de même strate, est donc sortie de « l’effet ciseau », résultat d’une  évolution des recettes plutôt dynamique et d’une baisse, en parallèle, de nos dépenses, en application de ces  mesures de rationalisation.  

Notre ville peut alors dégager un autofinancement brut de 34,7 M€, soit une augmentation de 16,9% et un  autofinancement net (différence entre l’autofinancement brut et le capital remboursé) de 15,7 M€. 

Cette situation permet en effet de préserver l’avenir et de conserver un volume d’investissement très honorable pour 2025, à hauteur de 55 M€, visant la réalisation d’opérations dans différents domaines d’intervention – éducation, espaces publics, rénovation urbaine et voiries – en écho aux orientations du plan de mandat 2020 – 2026.  

Enfin, le délai moyen de remboursement du stock de notre dette est de 5,63 ans, bien en deçà de la norme de  l’Etat, fixée à 12 ans.  

Loin de la technocratie tatillonne et de la rigueur sans ligne de conduite, il s’agira, dans les mois à venir,  d’entretenir ce cercle budgétaire vertueux, alliant pragmatisme et volontarisme, au service de l’intérêt général.  

A savoir : Philippe MOCELLIN est un praticien des collectivités locales et mène, en parallèle, des activités universitaires.  Maître de conférences associé, de 2013 à 2019, à l’Université de Poitiers, enseigne la sociologie politique et la  géopolitique. Il est l’auteur d’ouvrages touchant à la démocratie locale et aux stratégies de prospective urbaine.  A publié, en 2022, chez les éditions Ellipses, une « Introduction à la sociologie » – dont le Club Territorial s’en est  fait l’écho – et objet d’une réédition en 2026. 

A, par ailleurs, corédigé, en 2020, avec Philippe MOTTET, Maire  honoraire d’Angoulême, un essai, chez VA Editions, « Le monde des possibles, comment réconcilier les peuples  avec la mondialisation ? », dénonçant, au moment où les civilisations s’entrechoquent, les mythes de la « pensée  globale » et les dérives dangereuses de l’écologie politique. 

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